13 février 2022

Chapitre 4


 

  

La grossesse d'Élise était le sujet de conversation des employés de Prestige Couture.

Anne Ruest l'apprentie styliste, Émilie Harquin la cuisinière et Virginia en discutaient dans la salle à manger lorsque Apolline De Langelier, légèrement ivre, un verre de vin à la main entra dans la pièce.

Elle leur adressa un regard méprisant.

" Qu'est ce que ça signifie? Vous n'avez donc rien de plus intelligent à faire? Rejoignez votre poste de travail, bande de fainéantes! Cria la sexagénaire.

- C'est l'heure de notre pause et vous n'avez aucun ordre à nous donner, lui répondit vivement Émilie.

- Ce n'est pas une vulgaire cuisinière de seconde zone qui va me dire ce que j'ai à faire!" Railla madame De Langelier.

 

 

C'est à ce moment là, que Céline Rancour, la publicitaire de la société et fille d'Apolline entra dans la salle. Elle retira le verre de la main de sa mère et l'entraîna dehors. La sexagénaire alluma une cigarette.

"Mais qu'est ce qui te prend ? Je suis venue ici pour discuter de la ligne senior avec Antoine.

- Maman! Je t'évite de te ridiculiser une fois de plus. Ce n'est pas parce que tu as quelques actions dans cette entreprise que cela te donne le droit de donner des ordres aux employés. Quant à une entrevue avec le styliste, ce n'est pas possible, il est occupé par un nouveau projet."

Céline demanda à un coursier de raccompagner sa mère chez-elle.

 

Flashback


 

Apolline De Langelier, née Bonfils était issue d'une famille modeste de l'est de la France. La jeune fille n'aspirait qu'à une chose ; la richesse. Dès le début de l'adolescence, cette dernière commença à utiliser ses charmes sur les garçons de son collège et de son quartier pour se donner à eux, mais aucun de ces adolescents n'étaient susceptibles de lui offrir la vie qu'elle voulait. Elle n'était guère brillante dans ses études, elle abandonna le collège sans diplôme et fut obligée de trouver des petits emplois. À dix-huit ans elle quitta sa famille avec uniquement deux-cents francs en poche, elle se rendit à Paris. Dans un bar du second arrondissement, alors qu'elle buvait un café, un homme d'environ trente-ans, richement vêtu l'arborda. Elle fut immédiatement séduite par ce grand blond au teint mat. Il s'appelait Calixte Neufville. Il emmena Apolline chez lui dans sa somptueuse villa à Marseille et la couvrit de cadeaux de grande valeur. Cet homme appartenait à la French Connection, lorsqu'elle le découvrit, elle le quitta, il ne chercha pas à la retenir. Maintenant élégamment vêtue elle fut repérée par un photographe qui lui proposa de faire quelques clichés, c'est ainsi qu'elle devint mannequin. Quelques années plus tard, elle rencontra Guy De Langelier le fils d'un propriétaire d'un magasin de vêtements de luxe, ils se marièrent rapidement.

 

En 1968, année de la fondation de "Prestige Couture", elle fut choisie pour être l'égérie de la société. Elle fit la connaissance d' Augustin Chatigny, ce dernier, plus charismatique et plus riche que son époux l'attirait. Mais il était marié à Alix, une jeune styliste qui à l'époque arborait encore une chevelure noir de jais. Jalouse de sa rivale, elle se jura de faire éclater leur couple. Apolline eu deux enfants avec Guy, un fils, Gonzague né en mars 1971 et une fille, Céline en juillet 1972. Elle éleva son fils dans la haine de la famille Chatigny, ce qui déplut fortement à son mari qui espérait que Gonzague puisse co-diriger "Prestige Couture" avec Thibaut Chatigny comme lui le faisait avec Augustin.

En décembre 1982, Guy trouva la mort dans un accident de la route.

 


Durant l'été 1998, lors d'un dîner avec la famille Chatigny et des employés de "Prestige Couture", Apolline prit la parole et annonça que Gonzague était le fils d'Augustin Chatigny. Il furent tous abasourdis, personne ne voulait y croire. Le père de Thibaut et Fleur nia avoir eu une aventure avec Apolline, il exigea un test de paternité. L'ancien mannequin accepta, les résultats étaient sans appel, le jeune homme était bel et bien le demi-frère de Thibaut. Se sentant trahie, Alix partit vivre à l'hôtel avec sa fille.



Le père de Thibaut accusa son ennemie d'avoir trafiqué le test, elle en disconvint.

La veuve était ravie, son plan avait fonctionné. Quelques semaines avant le dîner, elle était allée chez les Chatigny prétendant qu'elle venait récupérer un dossier que sa fille avait oublié. Prétextant vouloir se rafraîchir, elle se rendit dans la salle de bain de Thibaut et collecta des cheveux sur la brosse. Elle les plaça dans un sachet stérile en plastique qu'elle cacha au fond de sa poche. Elle paya cinq mille francs un employé du laboratoire afin qu'il échange les échantillons.



N'ayant aucune confiance en Apolline, Augustin alla rendre visite à Gonzague. Lorsque le jeune homme fut occupé ailleurs, il préleva un échantillon de cheveux et l'envoya dans un autre laboratoire. Cela prouva que cet homme n'avait aucun lien de sang avec monsieur Chatigny. Elle se défendit en accusant un laborantin d'avoir fait une erreur.

 


Le fils De Langelier vouait une haine viscérale aux Chatigny depuis sa tendre enfance. Il était obsédé par le pouvoir et l'argent. Lorsqu'Augustin prit sa retraite il nomma son fils à la tête de la maison de couture et offrit un poste de sous-directeur à Gonzague. Le fondateur ne faisait guère confiance au fils de feu son ami Guy. Il le savait prêt à tout pour écraser les autres, même au pire. Il avait raison, Gonzague par ses manœuvres interlopes réussit à faire renvoyer Thibaut de son poste de PDG. Le jeune homme fut accusé d'avoir volé les croquis d'Antoine et de les avoir vendus à la concurrence et de vouloir utiliser des matières bas de gamme pour la fabrication des vêtements.

Le témoignage d'une voisine d'Antoine du Trieux vint innocenter Thibaut, en effet elle avait vu un jeune homme aux cheveux bruns entrer chez le styliste et ressortir avec un dossier et le donner à un homme à l'allure louche. Le brun fut formellement identifié comme étant Gonzague, l'autre était connu des services de police pour braquage. Lors d'une perquisition à son domicile la police trouva le dossier contenant les croquis.

Avec l'aide d'une jeune commerciale, Élise Montminy, Thibaut racheta les actions de son ennemi avant que celui-ci ne puisse les vendre à sa mère. Gonzague perdit sa place au sein de l'entreprise et quitta la ville.

 


Deux ans plus tard, en novembre 2001, Thibaut fut sauvagement agressé par des sbires de son pire ennemi et laissé pour mort dans une ruelle. Il fut transporté à l'hôpital avec un pronostic vital engagé. Le jeune homme était allongé sur un lit d'hôpital lorsque Gonzague, déguisé en médecin entra dans la chambre et le menaça avec une arme. Il fut immédiatement arrêté et envoyé en prison.


 

Un an s'écoula, il s'évada avec la complicité d'un gardien qu'il avait grassement payé. Il fut recherché mais resta introuvable.

Le 10 février 2003, une fête fut organisée pour le trente cinquième anniversaire de "Prestige-Couture". Thibaut repéra un homme à l'attitude étrange qui rôdait autour de la salle des fêtes de Peyrelail. Il sortit et suivit l'homme, il reconnut son ennemi malgré sa nouvelle couleur de cheveux. Il remarqua que ce dernier tenait un détonateur dans ses mains. Sans réfléchir il se jeta sur lui et parvint à le lui arracher des mains et l'arrêter avant que tout ne saute.

 

Gonzague fut condamné à vingt ans de prison.



Celui-ci se montra cruel envers les autres prisonniers qui le craignaient.



Puis des discussions pendant plusieurs mois avec une visiteuse de prison l'amena à réfléchir sur les raisons qui l'avaient poussé à agir de la sorte. Au départ, il ne voulut rien entendre, tout ceci n'était que fadaises. Puis à force de conversations avec une autre visiteuse, il changea peu à peu d'avis. Il lut et visionna les témoignages de personnes, qui comme lui ne pensaient qu'au pouvoir et la richesse. Ces gens avaient commis les pires actes qui les conduisirent derrière les barreaux pour de longues années. La plupart décidèrent de s'en sortir et de commencer une nouvelle vie, les autres achevèrent leur vie en prison ou abandonnés de tous.



Peu à peu le jeune homme se rendit compte où sa soif de pouvoir l'avait mené. Comment avait-il pû en arriver à de telles extrémités ?

À sa sortie de prison, il aidera les anciens prisonniers à se réinsérer et aura une vie simple loin du pouvoir et de l'argent.

Il tint une conférence face aux autres prisonniers et leur parla de ses mauvais choix et de sa volonté de s'en sortir et de tourner la page.


Sa sœur et sa mère eurent vent de son intervention, si la première en était ravie, il n'en allait pas la même chose de la seconde. Elle alla le trouver au parloir.

" Renoncer à Prestige Couture ! C'est une plaisanterie j'espère ! Cria Apolline.

- Non, pas du tout, répondit fermement son fils, les bras croisés sur la poitrine.

- Mais c'était ton rêve d'être à la tête de l'entreprise, tu es né pour diriger, je t'ai élevé pour ça ! Répliqua sa mère.



Le jeune homme fixa sa mère.

- Dit plutôt que c'était le tien. Toute ma vie durant tu n'a cessé de me répéter que je devais être à la tête de l'entreprise, ce n'importe quel prix. Tu m'as élevé dans la haine de la famille Chatigny, ce que père déplorait. Combien de fois t'a t-il dit que cela n'apporterait rien de bon ? Il avait raison, tu as fait de moi un monstre, j'ai du sang sur les mains. Si tu avais daigné écouter mon père, je ne serais pas dans cet endroit sordide, enfermé entre quatre murs pour de très longues années. Aujourd'hui je dirigerais "Prestige Couture" avec Thibaut. Nous n'aurions peut-être pas été les meilleurs amis du monde, mais nous administrerions la société sans nous tirer dans les pattes. Riposta t-il.

- Tu déraisonnes complètement ! J'ai fait tout ça pour toi, tu es le seul capable de diriger la maison de couture ! Ce Thibaut n'est qu'un imbécile qui saute sur toutes les femmes, il ne vaut rien, comme son père.


 

Gonzague pointa le doigt vers sa mère.

- Ah nous y voilà ! Toujours cette vieille histoire avec Augustin Chatigny et ton obsession pour le pouvoir et l'argent ! Tu étais mariée à un homme riche, qui t'aimait plus que tout au monde et cédait à tous tes caprices de star....Mais non, pour toi c'était insuffisant, il n'était pas assez aisé pour toi. Père n'était qu'un petit millionnaire, tandis que ce Chatigny était dix fois plus fortuné. Tu ne pouvais pas supporter qu'il ne s'intéresse pas à toi, alors tu as décidé de te venger de cette famille. Tu voulais les détruire, ce par n'importe quel moyen. Tu m'a incité à les haïr, moi je t'ai suivie dans ta folie. Je t'ai soutenue quand tu as inventé cette abracadabrante histoire d'une relation entre Augustin et toi. Comment ai-je pû être aussi aveugle!

- Mais vas tu m'écouter à la fin !

- Que tu le veuilles ou non, je ne reviendrai jamais chez "Prestige-Couture". Lorsque je sortirai d'ici je quitterai la ville et tournerai définitivement la page de mon ancienne vie.

- Mais......

- Encore une chose, tu devrais aller consulter un psy, cette obsession pour les Chatigny n'est pas normale, tu as besoin de te faire soigner." Conclut-il.

 


 
Le jeune homme quitta la pièce, laissant sa mère sans voix.

 

Quelques mois plus tard, en juillet 2004, un incendie se déclara à la prison, les prisonniers furent évacués. On remarqua que deux d'entre eux manquaient à l'appel. N'écoutant que son courage, Gonzague retourna les chercher. L'épaisse fumée rendit la tâche difficile, mais il parvint à les trouver, ils étaient bloqués dans la buanderie. Le jeune homme réussit à casser la serrure avec une barre de fer, il libéra les deux hommes qui rejoignirent les autres dans la cour.

La fumée devenait de plus en plus épaisse, il était difficile de respirer, il perdit connaissance.

Peu après, un surveillant inquiet de ne pas le voir revenir partit à sa recherche. Il trouva son corps sans vie, il avait été intoxiqué par les émanations.

 

 

Le décès du jeune homme fut un choc pour tous, même pour ses anciens ennemis. Malgré ses actes passés, il ne méritait pas de mourir. Sa volonté de s'en sortir avait forcé l'admiration de tous en dehors de sa mère dont la haine envers les Chatigny se décupla. Un jour où l'autre ils allaient payer.

 

Fin du flashback

 


 

À la pause de midi, Céline alla trouver Élise et Thibaut, ceux-ci déjeunaient à l'extérieur, dans les jardins de l'entreprise.

"Je voulais m'excuser pour le comportement de ma mère ce matin, elle n'était pas dans son état normal.

- Ce n'est pas grave, nous sommes habitués à ses insultes, qu'elle soit ivre ou non. Tu as sans doute eu vent de l'esclandre qu'elle a provoqué au restaurant l'autre jour, répondit le jeune homme.

La fille d'Apolline les fixa, étonnée.

- Non, que s'est-il passé ?

 


Élise lui raconta la scène. Le visage de Céline afficha un air contrit.

- Je vais lui en toucher deux mots, son attitude est inexcusable, elle n'avait pas à vous traiter ainsi.

- Non, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, cela risque au contraire de la rendre encore plus haineuse. Je ne veux pas imposer ça à mon épouse, le stress n'est pas bon pour le bébé," conclut Thibaut

À suivre