La jeune femme se rendit à la maison de couture. Il s'agissait d'une somptueuse demeure de pierres blanches. Construite à la fin du XIXe siècle, elle appartenait alors à l'un des descendants de la prestigieuse famille Granbois de Puytargues. Augustin Chatigny l'avait achetée au milieu des années soixante-dix pour y abriter les actuels locaux de l'entreprise, les anciens étant devenus trop petits.
Une jeune femme rousse d'une trentaine d'années se trouvait à l'accueil. Elle s'appelait Eulalie Cadieux. Elle occupait ce poste de standardiste depuis six mois. La précédente, Clarice Miron, une brune siliconée d'une petite vingtaine d'années qui parlait très mal anglais n'était restée qu'un mois. Elle usait également de ses charmes pour tenter de séduire ses collègues masculins, ce qui déplut fortement à Thibaut et Rémy. Elle fut licenciée au bout de sa période d'essai. Eulalie était une jeune femme discrète, voire timide et pas particulièrement belle, mais contrairement à Clarice, elle faisait correctement son travail et maîtrisait parfaitement la langue de Shakespeare
" Bonjour Eulalie, est-ce que mon mari est
revenu de son rendez-vous avec monsieur Cotuand, notre fournisseur de
soie ?
- Bonjour madame Chatigny, je ne l'ai pas vu depuis
son départ, mais peut-être est-il rentré pendant ma pause
déjeuner. Vous devriez demander à Virginia, elle saura vous dire ce
qu'il en est.
- Très bien, merci, je vais voir à notre bureau."
Lorsqu’ Élise monta à l’étage, elle ne trouva personne dans leur bureau .
Elle alla trouver Virginia Bowden, l'assistante de direction. Une jeune femme aux longs cheveux noirs vêtue d'une élégante robe en velours bleu nuit et dentelle noire, travaillait sur son ordinateur. Cette jeune américaine de vingt-huit ans était employée de la société depuis deux ans.
" Bonjour Virginia, Thibaut avait
rendez-vous avec le fournisseur de soie ce matin. Il n'est pas
encore rentré alors qu'il devrait être là depuis plus d'une heure.
Sais-tu où il se trouve ?
- Oui, il m'a appelée il y a
environ trois quarts d'heure, Octave Vaderville, l'agent d'Olympe
Belisle, le mannequin vedette pour le défilé de présentation de
"Rêve d'un soir d'été" voulait le voir pour discuter des
clauses du contrat. Ton mari ne devrait plus tarder à arriver. Je
peux le prévenir que tu es ici, si tu veux.
- Non merci, je vais
aller l'attendre, je veux lui faire la surprise."
Lorsque Thibaut revint de ses rendez-vous, il fut surpris de trouver Élise qui
l’attendait. En effet, sa femme n’était pas censée travailler
ce jour là. Il sentit une vague d’angoisse
l’envahir.
« Chérie, que fais-tu ici ? Tu n'es pas
malade au moins ? Ces derniers temps j'ai remarqué que tu
n'étais pas en forme, je suis très inquiet.
- Justement, il y
a quelques jours je suis allée chez le médecin pour une prise de
sang et j'ai reçu les résultats ce matin.
La jeune femme regarda
son mari en souriant et continua :
- Félicitations papa !
Le jeune homme fixa son épouse, l'air
hébété.
- Tu veux dire que nous.......
- Oui, dans sept
mois, nous aurons un bébé, d'ailleurs je le sais depuis quelques
jours, j'ai fait un test de grossesse, il était positif.
- Mais
pourquoi ne m'avoir rien dit ?
- Je voulais en être sûre
avant de te l’annoncer.
- Je suis si heureux..... Ajouta Thibaut
avec un large sourire. »
Il enveloppa sa femme de ses bras
et l'embrassa passionnément.
Soudain, Élise se sentit mal et se précipita
vers les toilettes.
Au même moment un homme blond, grand et mince
approchant la quarantaine, vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise
blanche décolletée entra dans le bureau, il s'agissait d'Antoine Du
Trieux, le styliste.
Il vit son patron qui sautait comme un enfant
sur le canapé en riant.
« Mais que se passe-t-il ici ?
Soit tu es retombé en enfance, soit tu t'entraînes pour les
championnats de trampoline.
Il cessa ses gamineries et regarda
l'homme blond.
- Non, ce n'est pas ça, je vais être papa dans
sept mois.
- Ho.. Mais c'est une merveilleuse nouvelle ! Mais oui
! Voilà une idée, nous pourrions lancer une collection spéciale
femme enceinte, des vêtements à la fois chics et élégants comme
nous savons le faire chez « Prestige Couture » mais
également pratiques et confortables. Les tenues de grossesse
vendues en magasins ne ressemblent à rien, on dirait de vulgaires
pyjamas informes. »
Le styliste sortit du bureau des patrons et
retourna à l'atelier.
« Anne ! Evie ! Venez immédiatement
ici ! Mais où sont elles encore passées ! Jamais là quand on a
besoin d'elles! S'exclama t-il, irrité.
Il se rendit à la cuisine, il n'y avait que
Virginia qui faisait réchauffer un morceau de pizza au four.
-
Mademoiselle Bowden, avez-vous vu Anne et Evie ?
- Non,
désolée, j'ignore où elles sont.
Antoine regarda l'assiette de
la jeune femme, l'air dégouté.
- Qu'est ce que c'est que cette
chose ?
- Une pizza classique, à laquelle j'ai rajouté un peu de
menthe, de la rose, un peu de curry, et des oranges confites à la
place de la mozzarella et une gousse de vanille.
- Ho my ! Je suis
vraiment heureux que vous ne soyez pas styliste, car si vos goûts en
matière de mode étaient semblables à ceux que vous avez en cuisine, je
n'ose imaginer le désastre. » Ajouta le jeune homme blond.
Le soir même, chez Élise et Thibaut:
Élise
sortit sur la terrasse, elle posa ses mains sur son ventre et murmura:
« Je
suis si heureuse que tu sois là mon bébé, je t’aime, et j’aime
ton papa plus que tout au monde. »
Soudain, elle frissonna, ce
n’était pas le froid, c’était autre chose, comme la peur de
quelque chose de terrible qui pouvait arriver.
À suivre