Le
lendemain soir, ils réunirent toute leur famille à « L'hermine »,
le plus luxueux restaurant de Peyrelail. Cet établissement
trois-étoiles était dirigé par Tristan Grandier, trente-cinq ans,
quinze étoiles au guide Michelin. Son père Jean, son grand-père
Nestor et son arrière grand-père Jules furent aussi des chefs
étoilés de renom. Le père du jeune homme avait cessé son activité
en 1998 à cause de graves problèmes de dos. Auparavant, les deux
hommes travaillaient en équipe.
Le château qui abritait ce
restaurant datait du début du XVIIIe siècle. À la fin de la Grande
Guerre, alors qu'il tombait en ruine, il fut racheté par un riche
couple. Des travaux y furent entrepris et en 1930 "L'hermine"
ouvrait ses portes.
Les parents d'Élise ainsi que ceux de Thibaut et Fleur prirent place à des tables réservées à cet effet. Pour l'occasion, ils s'étaient parés de leurs plus beaux atours, dans un établissement aussi classieux la bienséance exige que l'on soit vêtu de façon élégante.
Avant
de commencer à dîner, le jeune couple se leva. Tous avaient plus ou
moins une idée de ce qu'ils allaient leur apprendre.
"Mon
épouse et moi avons organisé ce dîner pour vous annoncer quelque
chose de très important.
Il attira sa femme contre lui et posa
une main sur le ventre de cette dernière.
- Notre famille va
s'agrandir, Élise attend un enfant.
- Félicitations aux futurs
parents ! S'écrièrent t-ils tous en chœur.
-
Depuis quand le savez-vous ? Questionna Augustin, le père de
Thibaut et Fleur.
- J'ai reçu les résultats de ma prise de sang
hier, mais j'avais effectué un test de grossesse quelques jours
auparavant et il était positif. Depuis un petit moment déjà, je
pensais être enceinte.
- Moi, je m'en doutais un peu, ajouta
Alix.
Son
fils la regarda en fronçant les sourcils.
- Comment ça ?
-
Te souviens-tu de ce que tu m'as dit sur les petits soucis de santé
de ta femme lorsque je suis allée chez "Prestige Couture" ?
-
Oui et alors ?
- Ce jour là je lui ai rendu visite et cela n'a
fait que confirmer mes soupçons, les fringales, la fatigue et le
reste. J'ai connu tout ceci aussi pour mes deux grossesses.
-
Élise, j'ai gardé tes draps de bébé, il suffira de les laver pour
les rafraîchir, dit Louise sa mère.
- Quant à moi, je vais
m'occuper de ton ancien berceau et de la table à langer. Nous
serions ravis de garder ce petit ou cette petite de temps en temps,
ajouta André son mari.
- Pour quand est prévue cette naissance ?
Demanda Alix
- Pour la mi-avril.
Fleur
la jeune sœur de Thibaut âgée de seize ans était très
enthousiasmée à l'idée de cette future naissance.
- Est-ce que
vous allez organiser une fête prénatale et nous révéler le sexe
du bébé à ce moment-là ?
- Oui, nous allons le faire,
mais ce sera quelque chose de simple et convivial et non pas un show
à l'américaine, lui répondit son frère.
- J'espère que vous
aurez une fille. Je pourrai lui faire de jolies coiffures et lui
apprendre à se maquiller, Je ferai les boutiques avec elle. Je lui donnerai le goût du piano et de la musique
classique.
- Ah ah ah ! Quand elle aura l'âge de faire les
boutiques, elle ne voudra pas y aller avec toi, trop la honte de se
coltiner sa vieille tante toute ridée, railla Thibaut.
- Très
drôle ! Tu as pris des cours d'humour pourri avec ton pote Rémy
Lamare ? Je serai une jeune trentenaire, moi ! Toi, tu
seras un vieux quinquagénaire dégarni portant des grosses
lunettes !" Répliqua vivement l'adolescente blonde aux yeux bleus.
Tous
éclatèrent de rire.
Le dîner se déroulait bien, le dessert venait d'être servi, quand une élégante femme brune d'une soixantaine d'années vêtue d'une onéreuse robe de soie verte, s'avança vers eux. Elle leur adressa un regard froid. Il s'agissait d'Apolline De Langelier, la veuve du cofondateur de "Prestige Couture."
"Un rejeton chez les Chatigny, en voilà
d'une bien mauvaise nouvelle ! Ce sera un raté qui saute sur
tout ce qui bouge, comme son vaurien de père ! Ou alors une
vulgaire arriviste comme sa saleté de pauvresse miséreuse de mère !
Les nargua t-elle.
Les membres des deux familles
furent choqués par les nauséabondes paroles qui venaient de sortir
de la bouche d'Apolline, cependant, ils ne furent pas étonnés,
cette femme leur vouait une haine viscérale depuis des années. Elle
jalousait surtout la relation entre Alix et Augustin et n'avait pas
accepté que son fils soit écarté de la direction de l'entreprise.
Le père de Thibaut s'approcha d'Apolline et la
toisa.
- Tu es odieuse ! Mon fils n'est pas un moins-que-rien
et ma belle-fille n'est pas ce que tu dis ! En revanche, toi, tu
es une nullité et une intrigante qui a su utiliser ses charmes pour
parvenir à ses fins.
Elle éclata de rire.
- Ha ha ha ha !
Ce que je viens de dire n'est que la vérité, je sais que j'ai
raison et c'est pour ça que ça fait mal. Il n'y a rien de plus
réjouissant que de voir vos têtes d'abrutis blessés par mes
paroles.
Son visage affichait un air satisfait.
Elle
fixa ensuite les parents d'Élise avec une moue de dégoût.
- Je
pensais qu'il fallait être habillé correctement pour venir dans ce
restaurant, mais visiblement ça a changé, vos vêtements sont très
laids et ne doivent pas coûter chers, cinquante centimes d'euros
maximum. Peut-être les avez-vous trouvés dans une poubelle ? Ces
horreurs agressent mes doux yeux, je préfère encore les fermer.
Vous les gens de basse extraction, vous n'avez aucun goût et aucun
respect pour les autres. Venir ici aussi mal habillés est un
affront. D'ailleurs les Chatigny, vos tenues sont affreuses. Comment
peut-on travailler dans la mode et avoir aussi peu de goût!
Louise
et André Montminy préférèrent ignorer les propos blessants de la
sexagénaire brune, ils savaient parfaitement que sobre comme ce soir
ou ivre, elle ne savait que médire, rien n'était plus plaisant pour
elle.
Augustin se leva et fusilla son ennemie du regard
- Cette fois, tu as vraiment dépassé les bornes, sors
d'ici avant que je n'appelle la sécurité !
- Très bien !
Je vois que l'on ne veut pas de moi ici ! Profitez donc de votre
bonheur pendant qu'il est encore temps.
- C'est ça ! Va t'en
avant que la fourrière ramasse ton balai garé en double file !
" Ajouta Fleur très énervée.
La veuve s'en alla sous les
regards médusés du chef Grandier et des employés qui avaient
assisté à la scène.
Les conversations de fin de repas concernaient Apolline, devaient-ils prendre ses menaces au sérieux ? Ou bien les ignorer ? Elle les méprisait et passait son temps à les insulter, son penchant pour l'alcool n'arrangeait rien.
Ils n'avaient plus le cœur à la fête. L'esclandre provoqué par cette femme avait définitivement plombé l'ambiance.
Quelques temps plus tard...